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Article de Saïd Bouamama à propos du livre « On chez nous », Histoire des tentatives d’organisation politique de l’immigration et des quartiers populaires (1981-1988)

« On est chez nous » de Karim Taharount : Une lecture nécessaire.

La publication du livre « On est chez nous –histoire des tentatives d’organisation politique de l’immigration et des quartiers populaires (1981-1988) » contribue à combler un vide dans l’histoire politique de la société française. Trop souvent encore les discours « savants », militants ou de sens commun sur les quartiers populaires et leurs habitants, comme ceux sur les immigrations et leurs descendants, occultent les tentatives de réponses politiques que ces acteurs sociaux ont tentés de construire pour répondre à leurs situations de relégations et d’oppressions. Il en découle collectivement l’image de territoires constituant des « désert politiques » et celle de populations passives face aux dominations subies. Pourtant rarement une catégorie de la population n’aura initiée autant de tentatives d’organisation, d’essais de structurations, de projets d’expressions politiques nationaux. De la décennie 70 à aujourd’hui, les générations se sont succédé et le vocabulaire politique usité a muté mais la ligne d’horizon politique est restée la même.

L’intérêt de l’ouvrage de Karim est de restituer une à une les différentes étapes de cette longue quête d’un débouché politique collectif et national. Des luttes des cités de transit et pour le droit à un logement digne, à « Mémoire Fertile » en passant par la « Marche pour l’Égalité et contre le Racisme », « Convergence 1984 », « divergence 85 », le « Mouvement de l’Immigration et des Banlieues », le « comité national contre la double peine » etc., le livre donne la parole aux souvenirs et aux analyses des militants qui ont tentés, souvent avec un coût humain et personnel lourd, de sortir de l’invisibilisation et de la silenciation politique. Les différents chapitres restituent de ce fait de manière satisfaisante l’ambiance, les préoccupations, les difficultés et les épreuves de cette longue quête de l’égalité.

On peut cependant déplorer que l’échantillon soit centré sur les militants de la région parisienne alors que ces expériences touchent, dans des formes certes diverses, l’ensemble du territoire. Sans sous-estimer le rôle des individus et de la région parisienne, ce que la dimension nationale des expériences donne à voir, c’est en effet l’émergence d’une nouvelle réalité sociologique constituée, non pas seulement de l’apparition de descendants français d’immigrés (Les immigrations antérieures ont donné lieux à des processus similaires) mais à l’émergence d’une nouvelle réalité sociologique et politique : des français issus de la colonisation. Il n’est ainsi pas anodin de constater que la « Marche pour l’égalité » survient deux décennies après l’indépendance de l’Algérie c’est-à-dire au moment où les descendants d’anciens colonisés arrivent sur les marchés des biens rares (logements, emplois, scolarité, etc.). Ils découvrent alors selon un slogan de l’époque qu’ils se sont pas traités comme des « français à part entière » mais comme des « français entièrement à part ».

En dépit de cette limite le livre de Karim Taharount est une contribution précieuse à l’histoire et à la sociologie des luttes des immigrations et des quartiers populaires. Il est également un outil de transmission aux nouvelles générations militantes de l’expérience de leurs ainés. Ces éléments font de ce livre une lecture nécessaire.

Saïd Bouamama, militant associatif, socio-économiste et chargé de recherche à l’Intervention Formation Action Recherche (IFAR) à Lille.

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